Le réalisateur du film à succès, « Bosta »,
raconte son parcours du combattant .
Les banques négligent le potentiel économique
de l’industrie cinématographique libanaise.

Les banques et les sociétés financières au Liban sont encore très réticentes à investir dans l’industrie cinématographique locale, malgré son potentiel économique. Ce constat a été effectué au terme de deux jours de séminaire organisé par l’Association des banques du Liban et la fondation Liban Cinéma sur « Le rôle des banques et des sociétés financières dans le financement du cinéma et de l’audiovisuel au Liban ».
Devant un parterre de banquiers, deux réalisateurs et producteurs libanais ont partagé tour à tour leur expérience de financement d’un film.
Le parcours de Hani Tomba, auteur d’un court-métrage réalisé au Liban, After shave, qui a reçu de nombreux prix à l’étranger dont un César en France, est moins difficile que celui de Philippe Aractingi, réalisateur du film à succès Bosta, puisqu’il s’est déroulé en France, où les structures de financement cinématographique sont beaucoup plus développées qu’au Liban.

Le cas « Bosta »
Pour l’auteur de Bosta, la recherche de financement s’est apparentée à un parcours du combattant. Son projet, considéré plus comme un film grand public qu’un film d’auteur, ne lui a pas ouvert les portes des organismes d’aides français. Il s’est alors tourné vers le Liban pour rassembler les 1 à 1,4 million de dollars nécessaires à la production du film. « Un avocat m’a d’emblée conseillé de me tourner vers les banques d’investissement », explique M. Aractingi. Mais seule l’AFC (Arabe Finance Corporation) a vu dans son projet un vrai potentiel économique, en le traduisant en deux principaux produits commercialisables, le film et le disque de la bande originale. Ensemble, ils ont donc monté un prospectus pour présenter le projet aux investisseurs potentiels et un « business plan ». Loin de prédire le succès qui a suivi, le business plan « très conservateur », selon M. Aractingi, ne donnait aucune garantie aux investisseurs mais beaucoup d’avantages. Le montage financier, original, s’apparente à une titrisation.
Des certificats de participation de 10 000 dollars chacun donnaient aux investisseurs des droits sur les recettes du film pendant cinq ans (contre 1 à 2 ans normalement) et visaient un rendement annuel de 15 % par an. Malgré cela, AFC a échoué à trouver des investisseurs. Mais le réalisateur, tenace, a réussi à convaincre 26 investisseurs de participer au projet, dont beaucoup d’amis et la chaîne de télévision LBC. De plus, en échange de la campagne publicitaire, cette dernière a obtenu le droit de diffuser le film. « Une bonne affaire, estime M. Aractingi, puisqu’un film est généralement vendu aux chaînes locales à environ 15 000 dollars, or la campagne a coûté près de 130 000 dollars.»
Il a également bénéficié de placement de produits dans le film pour 20 000 dollars.
L’expérience s’est néanmoins révélée gagnante puisque le film a connu le plus grand succès populaire de l’histoire récente du cinéma libanais. Alors que les prévisions s’établissaient entre 5 000 et 10 000 entrées au Liban, Bosta a battu tous les records avec 130 000 entrées, soit environ 230 000 dollars de recettes en 12 semaines. Il est actuellement diffusé aux Émirats où le démarrage est un peu lent. Les autres recettes dépassent aussi les attentes du business plan. L’auteur est actuellement en négociation avec une chaîne satellitaire pour la vente du film entre 200 000 et 300 000 dollars contre 80 000 dollars prévus initialement. En revanche, les ventes du disque sont décevantes. Même si la bande originale est disque d’or, seuls 1 500 CD ont été vendus contre 10 000 prévus. « Cependant, on avait prévu de récolter 2 dollars sur chaque disque alors qu’aujourd’hui on encaisse 4,5 dollars et cette marge s’établira à 7,5 dollars à Dubaï », explique le réalisateur. Quatorze semaines après le lancement du film, les investisseurs ont déjà récupéré environ 23 % des sommes placées, alors que le film devrait encore être diffusé dans d’autres pays arabes. Des achats à l’international (Allemagne, France, Australie, États-Unis et autres) sont également en négociations. Et le DVD ne devrait pas tarder à voir le jour.
Bosta est donc la preuve qu’un film libanais peut être une opération économique intéressante et devrait ouvrir la voie à de nouveaux projets. Car même si la fréquentation du cinéma au Liban est en baisse, de 3,3 millions d’entrées en 1998 à 2 millions en 2005, le marché arabe représente 200 millions de spectateurs potentiels, rappelle M. Aractingi.
Le marché de l’audiovisuel dans cette région est en pleine croissance avec l’apparition d’une multitude de chaînes satellitaires, qui manquent de contenu. La preuve, selon M. Aractingi, certains films sont aujourd’hui vendus à 450 000 dollars sur ces chaînes, contre maximum 40 000 dollars il y a quelques années. De plus, la présence de nombreux programmes libanais a permis aux spectateurs arabes de se familiariser avec l’accent libanais.
Face à ce potentiel, les réalisateurs libanais appellent aujourd’hui à institutionnaliser les approches de financements, à l’image des pays industrialisés. En Europe, par exemple, une batterie de mesures fiscales existe pour encourager les investissements dans l’industrie cinématographique. Les chaînes de télévision ont également des obligations de coproduction. En France, une taxe est prélevée sur les billets de cinéma pour financer les films français. Un nouveau mode de financement a également vu le jour en 2004 : Cinébourse repose sur la création d’un produit financier, un Fonds commun de créances, dont l’actif comprend des droits à recettes du film, cédés par le producteur. Les parts de ce Fonds font ensuite l’objet d’une émission sur les marchés financiers.

Sahar Al Attar, L'Orient Le Jour.

Bosta

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